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Un texte qui garde toute sa force et hélas son actualité.

    Un texte qui garde toute sa force et hélas son actualité.

    2023 est l’année du cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Colette, ce qui a amené de nombreuses publications sur cette écrivaine aux multiples facettes. « Sage et révoltée, heureuse et souffrante, libre et liée mais toujours humaine » ainsi la présente Louis Forestier, dans un article de l’Encyclopaedia Universalis.

    Femme libre – liberté conquise par la littérature- ne se revendiquait pas féministe « Moi, féministe ? Ah non ! », rétorquait-elle-elle à un journaliste. Julia Kristeva considère que « aborder la condition féminine sous l’angle social ou politique paraissait absurde à madame Colette ». Mona Ozouf conclut ainsi un article, dans le numéro hors-série du Monde*  consacré à Colette : « Pas d’œuvre plus féminine que celle de Colette. Pas d’œuvre moins féministe ».

    Pourtant Colette, en journaliste qu’elle était aussi est attentive aux bruits du monde tel qu’il va et salua le courage des femmes pendant la Première guerre mondiale et décrit l’horreur des avortements clandestins. Sans être féministe au sens actuel, elle n’était pas indifférente au sort des femmes, comme en témoignent les extraits d’un texte paru en 1939 dans un recueil intitulé « A portée de main », article consacré aux violences conjugales qui restent tragiquement d’actualité.

    « Elle couchait dans une carrière ? Elle avait emmené ses deux petits, comme elle affamés. Ils se taisaient, formés au silence par le danger, comme le sont les jeunes des loups, des renards, qui jouent et même souffrent sans crier. Ils n’ont crié que de faim. Le froid aussi arrache des plaintes…

    Où sommes-nous ? Dans quelle jungle ? Dans quel lieu sauvage où la femme court de côté et d’autre, cheveux épars, vêtements défaits, comme à travers l’incendie et la crue du fleuve ? Elle porte une plaie à la tempe, elle remorque des enfants fourbus, hébétés. Elle voit des lueurs de couteaux, elle entend siffler un vol de projectiles. Quel est ce temps, comment nommer ce pays où la femme traquée retourne à la caverne ?

    Femmes abîmées, terrorisées, passées au feu et à la glace, noircies d’ecchymoses, tout cela sent le Moyen Age, nous reporte à un romanesque de la torture… Elles sont bien trop craintives, – différentes serait plus juste – elles, les lésées, les bleues de coups, les attachées au pied du lit, les femmes. Devant l’homme mis à mal, les femmes de chez nous ont la faiblesse prompte et le pardon aussi.…

    Mais la faiblesse féminine attend. « Demain il sera plus gentil », pense-t-elle. Elle commence à mettre son espoir de paix dans le hasard, dans le beau temps, dans l’enfant qu’elle porte ou met au monde. Il y a aussi une fierté domestique : « Je ne veux pas que les voisins se doutent… Si mes parents apprenaient… »…

    Mal défendue par le code (NDLR : l’article est écrit en 1939), la femme en outre, organise mal sa défense personnelle. Elle mêle petits griefs et grands sévices, injures mortelles et piqûres de vanité, et elle attend, pour « aller au commissariat », d’avoir perdu son sang-froid. Je l’ai vue, je l’ai écoutée avec trouble plus d’une fois. Un jour surtout, je l’ai rencontrée, tragique, jeune encore, son tablier humide de la lessive interrompue, ses manches roulées sur de beaux bras de travailleuse. Elle requérait – vaine requête officieuse – contre son mari, dans un commissariat qui en avait vu bien d’autres… ».

    *Colette, Le tourbillon de la vie – Le Monde Hors-série Une vie, une œuvre – Janvier 2023